Et aujourd’hui ? Que faire de cet héritage ?  

Nous parlons d’un héritage politique de maintenant cinquante trois ans.

Quant à l’héritage culturel national et civilisationnel, nous l’avons vu en amont, il est beaucoup plus ancien.

3.1 La question des couleurs et de l’emblème retrouve une certaine actualité, toutefois confrontée à certaines interrogations

3.1.1 - Une certaine actualité, disons-nous.

- Aujourd’hui, l’affirmation de couleurs martiniquaises (celles existant à ce jour ou, pourquoi pas, certains le disent, d’autres à venir) tend à être vécue comme un marqueur incontournable de l’identité martiniquaise, au même titre que le 22 mai, la langue créole, la culture DKB …

 

Les Martiniquais, de plus en plus nombreux, aspirent à se rassembler autour de symboles (couleurs, drapeau, hymne …) leur permettant d’apparaître à la face du monde (lors de manifestations culturelles, sportives, religieuses, politiques) comme une communauté historique originale, distincte de toute autre.

 

- La question se pose avec les échanges inter-caribéens et latino-américains.

* Dans le domaine sportif, on peut citer notamment l’information donnée par Alex FERDINAND, dimanche 3 juillet 2016 sur RLDM, dans l’émission La Parole au peuple, que lors des assises du sport qui se tiennent actuellement, presque tous les présidents de ligues ont exprimé le besoin d’un emblème martiniquais. On connait les positions en ce sens déjà exprimées par Jean-Philippe NILOR (député de la Martinique, sur RLDM, dans l’émission La Parole au peuple du 12/06/2016) : « Cette mandature doit faire avancer la reconnaissance identitaire : un chant, un emblème permettant de nous fédérer ». 

On entend nombre de points de vue allant dans le même sens lors d’émissions radiophoniques (« A l’abordage, par exemple). Et puis il y a l’appel poignant du regretté Alain RAPON à l’unité des Martiniquais autour d’un drapeau et d’un hymne afin d’affirmer leur identité et relever la fierté martiniquaise lors des compétitions sportives internationales. (cf Vidéo de l’interview du 22 juin 2009 d’Alain RAPON, président de la commission sport du Conseil Régional, ancien président de la ligue de football, réalisée par Joslen JONAZ).

* Dans les manifestations culturelles aussi (festivals, rencontres diverses), le malaise créé par l’absence de couleurs emblématiques se manifeste. Ce malaise est si fort qu’aujourd’hui, (nous l’avons vu précédemment), des artistes et associations culturelles s’engagent très concrètement en adoptant les couleurs et le drapeau.

* Dans le domaine politique (interrogation voire polémique autour de la présence du drapeau aux quatre serpents lors du 7e sommet des chefs d’Etat et de Gouvernements de l’AEC à Cuba en juin 2016, mais aussi absence de symbole martiniquais lors d’autres rencontres). 

 

- La question se pose lors des échanges en Europe et en France. Nombre de Martiniquais conduisant des groupes culturels, scolaires ou sportifs en France notent que des régions de France (La Bretagne ou la Corse, par exemple) n’hésitent pas à hisser leurs couleurs, et ceci très officiellement, et ceci quelles que soient les tendances politiques.

 

- La question se pose aussi du fait des avancées nouvelles de la conscience identitaire, notamment avec la sortie, très timide certes, de l’assimilation administrative que représentent l’adoption et la mise en place de la CTM. Des voix s’élèvent pour demander que la CTM pose le problème des symboles martiniquais (notamment celui de l’emblème).

 

          

 3.1.2  Mais aussi des interrogations, qu’il faut entendre.

(Eléments développés, à des degrés divers, ou tout juste mentionnés, durant le débat)

 

- La symbolique du rouge-vert-noir permet t-elle à toutes les composantes de notre peuple (et pas seulement à la composante africaine) de se retrouver ?

D’abord, il n’est pas absolument nécessaire qu’il y ait des éléments symboliques représentant chaque composante. Les couleurs emblématiques sont le produit des circonstances historiques. Par exemple, les couleurs bleue et rouge du drapeau français sont celles de la Ville de Paris qui a joué un rôle décisif durant la révolution. Il n’a pas été nécessaire d’ajouter les couleurs de toutes les villes ou provinces de France. La couleur blanche, symbole de la royauté, a survécu à la disparition de la monarchie.

D’autre part, on se rend compte que le rouge-vert-noir peut parler, symboliquement, à toutes les composantes de notre peuple : le rouge et le noir renvoient à des symboliques très fortes (d’ailleurs liées, pour des raisons historiques, à celles d’Afrique) des civilisations asiatiques (indienne et chinoise), le noir et le vert peuvent opérer de la même façon pour les influences moyen-orientales (sé sirien-an), et le rouge pour la civilisation arawak et kalina (roucou) et pour la culture française (la révolution française, le drapeau, la révolution sociale).

 

- Faut-il ajouter au rouge-vert-noir d’autres éléments, modifier la configuration actuelle ? Plusieurs points de vue ont été exprimés durant le débat ou durant les entretiens. Certains pensent qu’il faut adjoindre d’autres couleurs au rouge-vert-noir (le blanc, le bleu, le jaune ?), ou encore un autre symbole : la fleur de balisier, le serpent trigonocéphale, l’oiseau koulibri, la kòn lanbi…). Peut-on ne pas entendre cela et refuser tout dialogue ? En réalité, le rouge-vert-noir est historique et apparaît incontournable (même à ceux qui proposent des modifications). Maintenant, à partir de ce socle, n’y a-t-il pas place, si nécessaire, pour un compromis, dans le but de recueillir l’adhésion la plus large.

Et puis, les emblèmes évoluent : tel compromis recueillant la majorité, dicté par des circonstances historiques, peut être remis en cause majoritairement dans d’autres circonstances.  

 

- Il y a les interrogations liées aux divisions du mouvement national et du mouvement identitaire. Il n’est pas difficile de constater que rancœur, ressentiment et égos se manifestent parfois avec force, que l’écoute n’est pas toujours au rendez-vous, que la polémique prend souvent rapidement le pas sur la tentative de comprendre et la recherche d’explication, que la tendance à cataloguer rapidement et à diffuser des rumeurs en coulisse est privilégiée par rapport à une  culture du dialogue ouvert, franc et respectueux (plus caractéristique de notre culture). Est-il illusoire d’espérer que la mise en avant des intérêts supérieurs de notre peuple, la conscience des responsabilités historiques et le sens de l’Etat, le dépassement des intérêts particuliers et le sens du compromis, la levée de la confusion entre esprit national ou territorial et esprit de parti, pourront permettre de surmonter les blocages, de « faire communauté » et d’avancer de manière significative ?

- Il y a des interrogations liées à la représentation qui s’est construite à partir des années 1990 : « Drapo Malsa ». Cependant, l’histoire montre bien, comme on l’a vu précédemment, que Garcin MALSA, n’a fait que relancer, en s’exposant à nombre de risques,  un processus commencé dès les années 1960. 

 

- Il y a celles liées à la représentation  « Drapo lé endépantis, dapo lé otonomis, drapo lé séparatis ». Il est vrai que, historiquement, ces couleurs ont été brandies par des forces du mouvement national martiniquais. Mais cela est vrai de tous les combats pionniers qui ont été menés pour la reconnaissance de l’identité martiniquaise (22 Mai, langue créole, DKB, histoire…). Il était difficile qu’il en soit autrement. Pourquoi donc diaboliser le mouvement national et rejeter, du fait de son rôle pionnier, l’importance et la signification des couleurs et du drapeau ? L’émergence des couleurs constitue un fait historique (au même titre que d’autres repères), qui déborde aujourd’hui le cadre du mouvement national et concerne désormais le mouvement identitaire au niveau le plus large, quelles que soient les sensibilités politiques (reconnaissance pour les uns que les Martiniquais forment un peuple, une nation, ou reconnaissance pour les autres d’une identité régionale forte) et les stratégies politiques (autonomie, indépendance, décentralisation).

 

- Il y a aussi l’interrogation suivante : le rouge-vert-noir, officialisé, éliminera t-il le bleu-blanc-rouge ? Chacun (individu ou organisation), en fonction de ses opinions politiques, « charge » les couleurs rouge-vert-noir et leur association en drapeau de la signification qui lui paraît importante. Maintenant, dans les conditions actuelles, la Martinique fait partie du territoire de l’Etat français. Le bleu-blanc-rouge est le drapeau de l’Etat français.  Il flotte donc sur ce territoire. Le rouge-vert-noir qui incarne notre Existence au monde, notre fierté d’Etre, notre Identité cohabitera donc avec lui, dans le cadre de l'Etat français. Cette cohabitation durera t-elle ? Cela dépendra uniquement des choix politiques que le peuple martiniquais, en fonction de son droit inaliénable à l’autodétermination, fera pour l’avenir et dans l’avenir. Mais cela, c’est une autre question.