National/Identitaire


Mouvement national 

 

Il faut entendre par Mouvement national l’expression organisationnelle d’une conscience nationale martiniquaise, c'est-à-dire toutes les forces (autonomistes, indépendantistes, autres forces n’ayant pas adopté de mot d’ordre politique précis) qui ont en commun l’affirmation que la communauté martiniquaise constitue un peuple, une nation et qu’elle a le droit inaliénable à l’autodétermination.

On peut dater l’apparition du Mouvement national martiniquais du milieu des années 1950.

Dès août 1955, la fédération de la Martinique du Parti communiste français rejette l’assimilation qui nie le fait colonial. Elle adopte un nouveau mot d’ordre : « Plus large participation des Martiniquais à la gestion de leurs propres affaires».

Cependant, c’est la Lettre à Maurice THOREZ d’Aimé CÉSAIRE, le 24 octobre 1956, qui constitue l’évènement le plus significatif de l’apparition du mouvement national. Dans cette lettre, CÉSAIRE dit :

« (…) on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher pour nous ; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous.(…) nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou à la casuistique des autres.

L’heure de nous mêmes a sonné. »

C’est le début d’un grand mouvement de création d’organisations martiniquaises indépendantes de toute structure française. De larges fractions du peuple martiniquais crée des organisations qui lui sont propres et qui intègrent, à des degrés divers, le fait national (même sans avoir forcément opté pour un mot d'ordre politique précis).

* Les 21 et 22 septembre 1957 à sa première conférence, la fédération de la Martinique du Parti communiste français, se transforme en Parti communiste martiniquais. En 1960, Le Parti Communiste Martiniquais adopte le mot d’ordre d’Autonomie.

* Création du Parti Progressiste Martiniquais en mars 1958 qui opte d’abord pour la « transformation de la Martinique en région dans le cadre d’une Union française fédérée ». Le mot d'ordre d'autonomie est adopté au IIIe Congrès du parti en août 1967. Il est précisé lors de son VIIIe Congrès en juillet 1979 : « L'autonomie pour la nation martiniquaise, étape de l'histoire du peuple martiniquais en lutte depuis trois siècles pour son émancipation définitive ».

* Dès la fin des années 1960 et le début des années 1970, suite aux évènements de décembre 1959 et à l’affaire de l’OJAM de 1962, c’est la naissance de plusieurs organisations politiques indépendantistes [(MLNM (Mouvement de Libération Nationale de la Martinique), COMITÉ DE VIGILANCE PILOTIN, FORCES POPULAIRES, GAP (Groupe d'Action Prolétarien), GS 70 (Groupe Septembre 1870), MARRONNEURS, RASSEMBLEMENT, ZANMA, LA PAROLE AU PEUPLE)]. La recomposition qui a lieu durant les années 1970-1980 donne naissance à deux grands regroupements, le MIM (Mouvement Indépendantiste Martiniquais) et le CNCP (Conseil National des Comités Populaires), auquel vient s’ajouter le MODEMAS (Mouvement des Démocrates et Écologistes pour une Martinique Souveraine) dans les années 1990. 

- Développement aussi d'un mouvement associatif national sur les plans syndical (CGTM, CSTM, UGTM, CDMT), écologiste (ASSAUPAMAR…) et culturel.

- Développement de médias nationaux : RLDM, Radio APAL, presse écrite. 

 

 

 

 Analyse à la base du mouvement national

 

Les Martiniquais forment une communauté de personnes, constituée dans le cadre de certaines circonstances historiques distinctes de celle de de l'hexagone : première vague de colonisation européenne des XVIe et XVIIe, élimination des Amérindiens, économie sucrière, esclavage des noirs, introduction de main d'oeuvre asiatique dans la seconde moitié du XIXe ...  Mai 1848 = date qui symbolise la rentrée officielle de cette nouvelle communauté dans l'histoire.

Ils partagent un ensemble de souvenirs essentiels, un passé commun (qu'ils connaissent mal certes, mais dont les repères essentiels structurent la conscience collective). Bien qu'elle soit liée à l'histoire française et mondiale, l'histoire martiniquaise a sa propre dynamique. Elle a ses dates repères (1848, 1870, 1900, 1946, 1959, 1974 ...).

Ils sont liés par un même territoire : une petite île, dans la zone tropicale, à proximité du continent américain, à 7000 kms de la France européenne.

Ils partagent une même langue, le créole, à la fois produit, constructeur et véhicule de la psychologie martiniquaise. Ce qu'il a créé est suffisamment puissant pour habiter le français, et en faire, éventuellement un instrument d'affirmation de notre identité.

Ils partagent une même vie économique : économie coloniale de plantation pendant trois siècles. Aujourd'hui, économie tertiaire issue du mal-développement colonial et basée sur la consommation et l'assistanat. 

Ils manifestent une même "formation psychique", une même "psychologie", un même "caractère", une même "mentalité", produit de la rencontre douloureuse de la civilisation matrice africaine, des civilisations amérindienne et asiatiques, et de la civilisation conquérante européenne dans les conditions de la société coloniale. Aujourd'hui, sa douloureuse élaboration continue dans les conditions de la nouvelle société moderne. 

 

Le sentiment d'appartenir à une communauté distincte, forgée par l'histoire, ayant des intérêts communs, et vouée à un même avenir, bref  le sentiment national, se manifeste à travers de multiples éléments de la vie quotidienne. Il arrive même que parfois ce sentiment prenne la forme d'un certain chauvinisme.

 

La volonté de préserver la communauté, de défendre ses intérêts, d'éviter sa dissolution, de maîtriser son avenir, bref la conscience nationale, se cristallise en Martinique de différentes façons :

- Depuis le début des années 1950 l'affirmation de l'identité martiniquaise, c'est à dire des particularités, des différences, des distinctions martiniquaises a fait de considérables progrès. Cette identité est encore en discussion : Repose t-elle sur la négritude ? Repose t-elle sur la créolité ? Est-elle simplement régionale ? Ou nationale ? ... Mais elle s'affirme. Et elle s'affirme contre quoi ? Contre l'assimilation.

-Dès le début des années 1950, apparition d'un mouvement politique national (PCM et PPM et adoption du mot d'ordre d'autonomie) ; puis dès le début des années  1960, une partie du mouvement national se radicalise avec la naissance d'organisations indépendantistes ; développement aussi d'un mouvement associatif (syndical, écologiste, culturel, médias...) national. 

-Essor du mouvement culturel : maintien et/ou renouveau de certaines traditions, de la langue créole, de la recherche historique ; apparition de nouveaux éléments (littérature, théâtre ...).

 -Recul d'un attachement affectif, sentimental à la France au profit d'un attachement invoquant l'intérêt   ... D'où d'ailleurs la différence d'attitude de la masse envers le mouvement national (on écoute, on discute, on réfléchit ...).

 

(…) « En effet, s’il est vrai qu’une nation est une communauté déterminée d’individus vivant sur un même territoire, une communauté formant un tout économique, psychique et culturel parfaitement différente de tous les autres, on voit mal au nom de quoi on pourrait refuser à la Martinique et à la Guadeloupe la qualité de nation. Si on a pu hésiter quelques temps à le faire, ça n’a pu être que parce qu’il ne suffit pas d’être, qu’il faut avoir conscience d’être et que ce qui a manqué le plus jusqu’ici aux nations antillaises pour être précisément nations, c’était la conscience nationale. Or précisément, le phénomène caractéristique de la dernière période de l’évolution antillaise, de la période que nous vivons actuellement, c’est que sur la base de leurs propres expériences, sur la base de leurs épreuves et de leurs espérances déçues, une conscience nouvelle est née aux Antillais, la conscience de ce qu’ils sont, la conscience de ce qu’ils ont été, la conscience de ce qu’ils veulent être, bref ! Une conscience nouvelle qu’il nous faut bien appeler la conscience nationale. » 

Aimé CÉSAIRE, allocution au Xe anniversaire du PPM, 23 mars 1968

 

 

 

 

 

 Mouvement identitaire

 

Le mouvement identitaire est beaucoup plus large que le mouvement national. Il comprend toutes les forces qui affirment l’existence d’une identité, d’une personnalité, d’une singularité martiniquaise et qui considèrent qu’elle doit pouvoir s’exprimer et être prise en compte.

Il comprend, outre le mouvement national, ceux qui, considérant la Martinique comme partie constitutive de la nation française, lui reconnaissent néanmoins une identité régionale.

Et puis, il y a aussi ceux qu’on pourrait appeler « les affectionnistes » : ceux qui n’ont pas encore de positionnement précis sur le caractère (national ou régional) de l’identité martiniquaise, mais ressentent cette identité et manifestent le besoin de l'exprimer.