Aspects historiques et culturels


(...) L'idée de nation ne doit pas être confondue avec celle de l'Etat. (...) Je suis un citoyen français de nationalité martiniquaise. Une nation a le droit d'avoir un drapeau. Porto Rico est une nation mais ce n'est pas un Etat, mais Porto Rico a un drapeau qui figure dans toutes les manifestations où figurent les Portoricains. (...) En Martinique, d'emblée, pour des commodités électoralistes, on est arrivé à créer un réflexe conditionné dans la population : dès qu'on dit certains mots (liberté, responsabilité...) on vous considère comme indépendantiste. Plonger la population dans ce genre de réflexe, ce n'est pas faire du bien à son pays. (...)

Rouge-vert-noir ne sont pas de couleurs clandestines mais publiques ; elles ne sont pas officialisées mais un jour viendra où la Martinique, dans l'exercice des pouvoirs qui lui seront conférés, décidera d'un emblème. Ce sera le rouge-vert-noir ou autre chose...Mais ce sera certainement le rouge-vert-noir .(...) 

Renaud de GRANDMAISON (Entretien du 08/07/16)

 

  

(...) Est-ce que ces couleurs sont destinées aujourd'hui à devenir les couleurs de la Martinique ? On ne doit pas imposer mais ça fait un moment que ces couleurs sont reprises. (...)

Rodolphe DÉSIRÉ (Entretien du 07/07/16)

 

(...) Nous avons beaucoup de choses à régler avec nous-mêmes... Mais ça avance. je vois la différence du niveau de conscience entre aujourd'hui et il y a quarante ans (...)

Depuis quelques temps, il y a un mouvement de pancaribéanité. La Caraïbe est en voie d'unification. Nous allons figurer de plus en plus de manière indépendante par rapport à la France, et le drapeau va s'imposer (...) Le rouge-vert-noir a le mérite d'être le plus vu : toute la Martinique l'a vu ! (...)

 

Raymond BOURGADE, ancien du MLNM (Entretien du 07/07/16)

 

 

 

 

Couverture de la revue "En avant", publiée par Guy CABORT-MASSON, à la fin des années 1960/début des années 1970, avec le drapeau sur certains numéros. 

4 mars 1972 : obsèques de Pierre Overnay, militant qui soutenait les OS ouvriers de Renault, pami lesquels de nombreux antillais. Le drapeau rouge-vert-noir, en tête du cortège, a été placé sur son cercueil à côté d'autres, à la demande des militants. Le cortège s'est déroulé de Renault à Boulogne-Billancourt jusqu'au cimetière du Père Lachaise, environ 10 kms.

CONTRIBUTION POUR LE DRAPEAU ROUGE VERT NOIR

  

Mai-Juin 1968 à Paris, les organisations patriotiques de Guadeloupe, Guyane, Martinique AGEG (Association Générale des Etudiants Guadeloupéens) UEG (Union des Etudiants Guyanais), AGEM (Association Générale des Etudiants Martiniquais), AGTAG (Association Générale des Travailleurs Antillais et Guyanais), des militants du GONG (Groupe d'Organisation Nationale de Guadeloupe) et de nombreux travailleurs des colonies, plusieurs centaines, manifestent sur le Bd Barbès contre le pouvoir colonial français.

 

     C'EST LA PREMIERE APPARITION PUBLIQUE DU DRAPEAU ROUGE VERT NOIR brandi par un groupe de Patriotes dont Guy Cabort-Masson, Rodolphe Ramos, Ernest Breleur, Marie-Andrée Mencé, Alex Ferdinand et de nombreux autres militants ouvriers et étudiants... comme en témoignent quelques photos de l'époque.

 

    C'est avec une grande émotion que Marie-Andrée avait cousu ce premier drapeau PUBLIC, en présence de Cabort, Ernest Breleur et Alex Ferdinand; ne connaissant pas la configuration réalisée par l'OJAM, nous avions longtemps hésité sur la place du noir et du rouge.

 

   En effet, le mouvement "CONSCIENCE ANTILLAISE " animé entre autres par Frantz PRUDENT (le médecin), Maurice LOUIS-JOSEPH DOGUE (le maire) l'avait mis en couverture de leur Revue sous forme de triangle avec des bandes verticales. Le mouvement MLNM l'avait également adopté sur la couverture de leur journal " clandestin " Désanm  59 dans sa configuration actuelle avec Raymond BOURGADE, Nisette MONTJEAN, SEITU, et les autres camarades cités.

 

En février 1972, toujours à Paris, nous avons défilé en tête du cortège( 1million de participants), lors de l'enterrement du militant maoiste Pierre Overney; le drapeau a été placé dans sa tombe au Père Lachaise, à côté de celui de Palestine (ils se ressemblent). C'est moi Alex Ferdinand qui le brandissais comme on peut le voir sur les photos.

 

  Toujours à Paris, en août 1971, l'AGEM dont j'étais le Président après André Lucrèce et Ludovic Bravo, a adopté le drapeau sur son journal  "Madjoumbé" et l'a présenté dans les nombreux meetings aux côtés des drapeaux guadeloupéen et guyanais.

 

  Un bal de soutien organisé en 1971 à Rivière-Pilote a permis d'agrafer les 3 couleurs sous forme d'oeillet sur chaque participant à l'entrée.

 

Le Groupe Septanm 70 l'a également adopté et le 1er mai 1974, nous avons brandi des dizaines de drapeaux lors du défilé à Trinité.

 

 Le Journal laVoix du Peuple (Cabort, Fonsat, Jean Claude Lauréat, Ferdinand) l'a placé en en-tête après que Cabort l'a largement popularisé dans sa revue "En Avant" distribué aussi par Michel GODZOM.

 

 Des Patriotes de Rivière-Pilote ont dressé en 1974 un drapeau immense plus de 4 m d'envergure et à une hauteur de plus de 10 m avec un bambou sur le morne qui domine le bourg . Comme le vent avait déchiré et emporté le vert et le noir, les gendarmes ont mis un militant en garde à vue sous prétexte qu'il aurait érigé le drapeau d'une puissance étrangère sur le territoire" français" (l'URSS !!!) !!! ; il ne restait que le rouge. Ils ont envoyé un commando de l'armée l'enlever car en fin de journée, on entendait le bruit intrigant (flap, flap...) dans le bourg.

 

Voici quelques remarques pour compléter l'HISTOIRE du drapeau Rouge Vert Noir... La suite est plus connue avec SIMAO, etc. Tous les camarades dès le début ont toujours attribué la paternité de la conception du drapeau à l'OJAM, en tout cas les couleurs que nous avions pu découvrir sur la couverture de la brochure "Le Procès de l'OJAM" dès 1967. Cette brochure se trouvait en particulier dans les Archives de l'AGEM.

 

Alex FERDINAND, Contribution spontanée, Décembre 2017

 


 

ESHU

 

Selon la légende, à un carrefour de leur histoire, les dieux yoruba voulurent savoir lequel d’entre eux venait immédiatement après Dieu ; ils décidèrent tous de se rendre au ciel, chacun portant sur sa tête une riche offrande propitiatoire. Tous, sauf un. Ayant sagement commencé par honorer le dieu de la divination par un sacrifice, Eshu-Elegbara avait appris ce qu’il devait apporter au ciel – une unique plume de perroquet de couleur de pourpre (ekodide), placée verticalement sur son front pour bien montrer qu’il ne portait pas de fardeau sur sa tête.  En voyant l’éclat de la plume de perroquet, le sceau même de la force naturelle et de l’àshe, Dieu accorda à Eshu le pouvoir de se produire et se multiplier les choses (l’àshe).

La plume pourpre portée sur le front, siège de l’esprit et du jugement, fut interprétée de toute évidence comme un symbole de l’àshe et des méthodes d’apaisement rituel (etutu) qui conduisent à l’acquisition de l’àshe.

Il faut donc cultiver l’art de reconnaître les mensonges importants, de distinguer la vérité du mensonge, faute de quoi les enseignements des carrefours – des points d’intersection où les portes s’ouvrent ou se ferment, où les individus doivent prendre des décisions qui risquent d’affecter leur vie pour toujours – seront vains.

Eshu en vint donc à être considéré comme l’incarnation du carrefour. Il lui arrive même de « porter » le carrefour, symbolisé par un chapeau, noir d’un côté et rouge de l’autre [souligné par nous], suscitant à son passage des discussions absurdes pour déterminer si son chapeau est noir ou rouge ; il nous apprend ainsi, avec finesse, qu’il faut considérer une personne ou une chose sous tous ses aspects avant de porter un jugement d’ensemble. 

                                                                                  Robert Farris THOMSON 

                                                                       (In « L’Eclair primordial » Editions caribéennes)

 

 

Le rouge évoque le roucou des Amérindiens. Il évoque aussi l'argile rouge des mornes dégradés du pays, souvent de la forêt domaniale, des mornes qui s'étirent depuis la région du Gros-Morne jusqu'au nord. c'est la zone des neg mawon. Le Roucou évoque le détour.

Le noir évoque la lumière. La lumière naît du noir. Le noir est une couleur qui émerge, dans la majeure partie des grèves sur les habitations, lorsqu’on incendie la canne ; il évoque ces ombres qui allaient et venaient au cours de la lutte ; à ce moment, on découvre qu'on peut voir la nuit.  

On est entouré de vert ; le pays est vert. Il évoque le refuge, il permet de se camoufler, il ramène et rassure. 

D'après des éléments recueillis auprès de Victor ANICET, plasticien

 

"La réunion pour le véritable vaudoux, pour celui qui a le moins perdu de sa pureté primitive, n'a jamais lieu que secrètement, lorsque la nuit répand son ombre, et dans un endroit fermé et à l'abri de tout œil profane. Là, chaque initié met une paire de sandale, et place autour de son corps un nombre plus ou moins considérable de mouchoirs rouges, ou de mouchoirs où cette nuance est très dominante. Le roi vaudoux a des mouchoirs plus beaux et en plus grande quantité, et celui qui est tout rouge et qui ceint son front, est son diadème. (...)

La reine vêtue avec un luxe simple montre aussi la prédilection pour la couleur rouge, qui est le plus souvent celle de son cordon ou de sa ceinture. (...)"

Moreau de Saint-Méry, cité par Pierre PLUCHON, Vaudou, sorciers, empoisonneurs, Editions Karthala, 1987, p. 86-87

 

 

Dans le vaudou haïtien, "Ogou a une passion pour le feu. (...) Pour mieux incarner Ogou, les fidèles qui sont habités par lui se coiffent d'un képi à la française et revêtent un dolman rouge. Ceux qui ne possèdent pas ces défroques militaires se ceignent la tête d'un foulard rouge et attachent d'autres foulards de cette même couleur autour de leurs bras. (...)

Alfred METRAUX, le vaudou haïtien, Gallimard, 1958, p. 96

 

"Les membres de la grande famille des Guédé occupent, par rapport aux autres loa, une position marginale. L’ambiguité de leur état tient sans doute à ce qu'ils sont les génies de la Mort. (...) Les Guédé revêtent aussi des robes de deuil et des voiles noirs ou violets. Les lunettes, noires de préférence, leur sont un accessoire indispensable. (...)

Baron-Samedi, Baron-la-Croix, Baron-cimetière, Guédé-nibo et Mme Brigitte sont les représentants les plus en vue de cette redoutable famille. (...) L'imagination populaire prête à Baron-Samedi l'apparence d'un entrepreneur de pompes funèbres. Son emblème est une croix noire surmontant un faux tombeau que l'on revêt d'un haut-de-forme et d'un habit noir. (...)"

Idem, p 100

 

"Le mot petro suggère immanquablement des idées de force implacable, de dureté et même de férocité (...) [idem p 75]

 

Le rite petro est formé principalement de lwa qui sont nés sur le sol haïtien dans le contexte de l'esclavage et de la résistance à l'oppression. Cette contextualisation est importante pour comprendre le caractère violent et dangereux attribué habituellement aux lwa petro par rapport aux lwa rada.  Mais il intègre également des génies d'origine congolaise ainsi que quelques esprits de l'ancien Dahomey. 

Ses couleurs les plus importantes sont le rouge surtout (on parle de "loas rouges"), et aussi le noir.

On comprend mieux pourquoi le vaudou d'une manière générale, et le vaudou petro tout particulièrement, fut redouté des colonisateurs esclavagistes. On comprend mieux aussi pourquoi DESSALINES, devenu empereur, adopte, le 20 mai 1805, un nouveau drapeau noir et rouge vertical (à la place du drapeau rouge et bleu), le rouge symbolisant "la Liberté", et le noir "la Mort" ("La liberté ou la mort"). 

 

 

"Lorsque mon cousin [Léo DUCHAMP, NDLR] débarqua sur la place Bertin, le peuple se contenta de l'accueillir par des hourras ; mais, aussitôt qu'il pénétra dans les rues, la thèse fut changée. Il y avait deux partis : le parti sanguinaire qui poussait des cris de mort et tenait sur la tête de Léo coutelas et bâtons, et le parti qui se contentait de l'ovation, voulait que Léo criât "Vive la liberté" et portât un rameau."

"Il est d'usage, dans un défilé carnavalesque, ou vidé, de porter un bouquet de feuilles vertes." (note 1)   [souligné par nous]

Événements du Prêcheur (Mai 1848) - Émigration à Porto-Rico, dans Mémoires de békées II, Elodie et Irmiss de LALUNG, L'Harmattan, p. 161

 

"Dans les vidés carnavalesques du Mercredi des cendres, on portait aussi des petites branches de feuilles de corossol vertes. Ma grand-mère et ma mère m'en ont parlé. Moi-même ai observé cela dans ma commune natale aux Trois-Ilets. Mon oncle qui na ratait jamais le carnaval, et notamment le mercredi des cendres, avait d'un côté un sac de farine, de l'autre une branche de feuille de corossol." (Line DELBLOND, militante culturelle)

 

"On pouvait observer cela aussi à Fort-de-France, notamment lors de l'incinération de Vaval" (Daniel BARDURY, militant culturel)