A PROPOS DU DRAPEAU ROUGE VERT NOIR DE LA MARTINIQUE

 

Les couleurs sont des symboles forts, des marqueurs puissants de l’Identité d’une communauté historique, politique ou/et culturelle (peuple/nation, région/province), ayant conscience de son existence et ayant la volonté de l’exprimer au monde. Leur association en drapeau est l’étape la plus élevée et la forme la plus significative de leur importance. Le drapeau rouge-vert-noir (RVN), associant trois couleurs parmi les plus puissantes de notre culture, est apparu pour la première fois en 1963. Au delà de toutes les interprétations particulières, il s’adresse, symboliquement, à toutes les composantes de notre peuple : le Rouge pour la volonté de vie, de progrès social et de liberté ; le Vert pour le lien à la terre et à la nature, l’espérance d’une vie meilleure, la solidarité avec les peuples en lutte ; le Noir est symbole d’humanité et de culture, de lien à la civilisation africaine matrice, de solidarité avec les peuples noirs en lutte. 

 

Sous l’effet de luttes menées depuis cinquante-cinq ans et de leur intensification depuis 2009, l’écusson négrier bleu et blanc aux quatre serpent a été retiré en octobre 2018. Le jeudi 2 février 2023, à la suite d’un processus très controversé, la CTM a adopté, à l’unanimité moins une abstention, le drapeau rouge vert noir de la Martinique. 

Concernant la démarche du concours, beaucoup de partisans du rouge vert noir n’en ont jamais été partisans. Dès décembre 2017, dans des publications de Liannaj rouge vert noir, on pouvait lire :  « Quelle légitimité aurait un drapeau qui ne serait pas enraciné et validé par l’expérience de notre peuple, qui ne serait que le résultat d’un concours d’expressions et d’imaginaires individuels, sur un court terme, de quelques artistes ? (…) S’il s’agit de faire un choix entre différentes propositions, fruits de l’imagination de différents plasticiens, et sans véritable enracinement historique, ce serait entrer dans un processus de désincarnation (…) ». D’autre part, le concours, en orientant vers la recherche de « l’originalité », renforce une tendance à la dispersion, voire à la division, au lieu de celle d’une reconnaissance et d’une consolidation de l’existant.  

Cependant, il ne s’agit pas de faire les difficiles. Le processus enclenché en 2022 qui, à la différence de celui de 2018, n’excluait pas les couleurs rouge vert noir, a abouti à une décision quasi unanime de la CTM en faveur de nos couleurs et du drapeau historique. A l’évidence, il s’agit d’une grande avancée, d’une victoire collective des combattants de la dignité martiniquaise (partis, associations, personnalités, anonymes) qui, de manière unitaire ou en ordre dispersé, quelles que soient leurs options, ont entamé en pionniers ou rejoint le combat pour les couleurs et le drapeau.  

 

Toutefois, on aurait tort de croire que la question est réglée et de relacher nos efforts. Des idées erronées continuent de circuler concourrant toutes à une stratégie de ghettoïsation afin d’affaiblier la charge symbolique du rouge vert noir et la capacité de s’identifier à lui. 

 

- On entend encore dire que : « rouge-vert-noir ne fait pas l’unanimité, il ne fait pas consensus ». Oui, mais comme le 22 Mai, et d’autres marqueurs identitaires, ne faisaient pas consensus et unanimité ! A-t-on jamais vu un drapeau, à ses débuts, faire l’unanimité ? Il a toujours rassemblé un camp ! Aujourd’hui, c’est celui de l’Identité martiniquaise ! Et qu’il faut travailler à élargir le plus possible ! A défaut de faire l’unanimité,  les couleurs et le drapeau RVN peuvent rassembler la plus grande partie du mouvement (pluriel aujourd’hui et très large) qui refuse l’assimilation et lutte pour la reconnaissance de la personnalité martiniquaise.

 

- On entend encore dire qu’un peuple, une nation, une communauté historico-culturelle, ont besoin d’être indépendants ou même autonomes pour avoir des couleurs et un drapeau ! L’histoire et l’actualité contredisent cela : tous les peuples et nations sans Etat (Irlandais, Kurdes, Palestiniens, Corses…), tous les mouvements de libération nationale (FLN, PAIGC, FLNKS…), toutes les communautés provinciales/régionales (Corse, Guyane, Bretagne, länder allemands, Etats des EU…) brandissent ces signes conventionnels. Et pourquoi ? Parce qu’ils  veulent que soient reconnus par tous,  par eux-mêmes d’abord, par l’Etat auquel ils appartiennent ou contre la domination duquel ils se battent, par le monde entier, leur identité, leur singularité, leur spécificité, bref leur Existence et leur volonté d’Existence.

 

- On entend encore dire que le rouge-vert-noir est seulement l’emblème d’un courant, d’un parti, d’une ou de personnalités politiques ! Il est vrai que, historiquement, les nationalistes sont à l’origine, lors de l’affaire de l’OJAM en 1963, de l’association en drapeau des trois couleurs. Il faut entendre par nationalistes tous ceux qui reconnaissent l’existence du peuple et de la nation martiniquaise et son droit à l’autodétermination (indépendantistes, autonomistes, autodéterministes ne se prononçant pas pour telle ou telle stratégie politique). Certains disent que, de ce fait, les couleurs et le drapeau sont trop « connotés ». Cependant, les nationalistes font

partie de l’histoire de la prise de conscience de notre Identité. Il n’y a donc aucune raison de les diaboliser. Il faudrait alors rejeter aussi, comme trop « connotés », nombre de combats pour l’émergence et l’affirmation de l’identité martiniquaise (combats pour l’histoire martiniquaise, pour le 22 Mai, la langue créole, les danses et musiques racines...) dans lesquels les nationalistes ont joué un rôle pionnier. 

Aujourd’hui, tout comme les autres marqueurs de notre identité, les couleurs et le drapeau ne sont plus un emblème seulement pour le mouvement national. Ils interpellent désormais tous ceux (anonymes, personnalités, associations, partis...) qui affirment, avec leur sensibilité propre, une personnalité, une spécificité, une identité, une différence martiniquaise, un besoin et une exigence de reconnaissance de notre Être martiniquais, d’où l’engagement de plus en plus important de forces sans-parti pour le rouge-vert-noir. 

 

- On entend dire aussi qu’en basant le combat pour le RVN sur la plateforme large de l’Identité, de l’Existence martiniquaise (et non pas seulement sur celle, particulière, de la revendication indépendantiste), on procède à sa dépolitisation, sa désymbolisation, sa désacralisation, on le transforme en un simple fanion. C’est sous-estimer le fait que l’histoire et l’actualité martiniquaises sont profondément marquées par la lutte contre le racisme puis contre l’assimilation (expression moderne du racisme). Cette lutte est sociale, culturelle et éminemment politique. La revendication indépendantiste est un aspect, une forme de cette lutte, elle n’est pas toute cette lutte. D’ailleurs, même si on se place dans une démarche strictement régionaliste, la ligne de combat est bien nette. En effet, les régionalistes assimilationnistes, au contraire des régionalistes identitaires, soit refusent toute idée de drapeau, même régional, soit souhaitent inventer un autre drapeau qui n’aurait aucun lien avec l’histoire de nos luttes pour la Justice, l’Identité et la Responsabilité. Le contenu politique concret que le peuple donne et donnera  au drapeau  dépend et dépendra de sa conscience globale à tel ou tel moment de son histoire. 

 

- On entend dire que ceux qui valorisent le rouge-vert-noir veulent l’« imposer ». Faux procès ! Certains « démocrates » confondent expliquer, diffuser, défendre avec conviction, et « imposer ». Tout citoyen martiniquais est potentiellement RVN, et il s’en trouve de plus en plus car c’est l’histoire martiniquaise qui a enfanté le rouge-vert-noir. Les couleurs  rouge-vert-noir, bien enracinées culturellement, ont été associées en drapeau par des Martiniquais, porteurs de hautes valeurs morales. Les couleurs et le drapeau ont accompagné et accompagnent, depuis soixante ans les luttes martiniquaises pour l’Identité, la Justice et la Responsabilité. Ils ont mobilisé et mobilisent nombre d’enfants parmi les plus émérites de la Martinique. Ils sont là, bien « anchouké » et si quelqu’un ou quelque chose semble les imposer, c’est bien l’histoire martiniquaise. 

 

- Certains s’acharnent à présenter les partisans du RVN comme un ensemble uniforme ou qui devrait l’être. Toutes les manifestations dans lesquelles on brandit le RVN et toute personne bradissant le RVN, devraient être « purs », parler et se comporter de la même façon. Ils font semblant d’ignorer que chaque individu ou organisation, en fonction de son histoire, de ses opinions et objectifs, investit les couleurs rouge-vert-noir à sa manière. Il y a des gens qui ont des origines, des opinions, des méthodes, des formes d’action différentes. On trouve des gens de toutes catégories sociales, de toutes professions, de tous âges, de toutes croyances. Il faut admettre cette diversité, et la reconnaître ! Elle exprime les contradictions qui existent sur l’analyse de l’état et de l’avenir de notre société. Et c’est normal ! Cependant, malgré et avec ces différences, valoriser le rouge-vert-noir permet de s’unir pour affirmer ce que nous partageons tous, c'est-à-dire ce que nous Sommes, le fait d’Etre, d’être Martiniquais ! C’est comme cela dans tous les pays. En France, par exemple, le bleu-blanc-rouge est brandi par toute la société et tout l’échiquier politique français, malgré les différences et divisions, et personne n’y trouve à redire. 

 

 

Alors , plus que jamais, anomymes, personnalités, élus,

acteurs économiques, acteurs sportifs, acteurs culturels, acteurs religieux, 

associations, réseaux, partis politiques,

 dans toutes les occasions opportunes, diffusons nos couleurs et levons bien haut notre drapeau, 

enracinons le dans  la conscience et le coeur martiniquais !

Nous sommes martiniquais et fiers de l’être !

 

Liannaj RVN - Mars 2023