L’impérieuse nécessité du drapeau martiniquais

Texte rédigé par Michel MARIE-SAINTE, daté de 2008, mais toujours d'actualité.

 

Lors des derniers Carifta Games d’athlétisme qui se sont déroulés à St Kitts, durant les vacances de Pâques, un fait qui a eu lieu revêt à mes yeux un caractère important bien qu’il soit  resté inaperçu.

Ces jeux réunissent les athlètes de vingt ans et moins de presque  tous les pays de la Caraïbe, indépendants ou non.

Comme lors de toutes les manifestations de ce genre, il est demandé à toutes les délégations invitées de porter leur hymne national et leur drapeau et de faire connaître leurs couleurs qui sont reportés sur les badges d’accréditation des membres de chaque délégation.

Depuis l’origine de cette manifestation, la Guadeloupe, la Martinique y sont parties prenantes. Mais le problème des emblèmes représentatifs de ces deux pays s’est toujours posé alors que ce n’est pas le cas pour les autres îles de la Caraïbe encore rattachées à une autre puissance.  

Comment deux pays différents peuvent-ils se retrouver derrière des drapeaux identiques tant lors des cérémonies d’ouverture que celles de remises de médailles ?

Les Guadeloupéens, volontairement ou pas, à St Kitts arboraient un badge à leurs couleurs avec, imprimé dessus, le drapeau de la Guadeloupe. 

Le représentant de la direction technique de la fédération française d’athlétisme, qui avait fait le déplacement pour superviser nos athlètes et faire, en quelque sorte, son marché pour l’équipe de France, a protesté auprès des organisateurs en réclamant que les badges officiels de Guadeloupe comme ceux de Martinique soient aux couleurs de la France.

Mais les choses sont restées en l’état.

Et, lors  de la cérémonie d’ouverture, aucune des délégations de Guadeloupe et de Martinique n’a défilé derrière un drapeau, tandis que les représentants des autres pays, indépendants ou pas, se trouvaient tous derrière un drapeau : leur drapeau.

 

Quel est le rôle d’un drapeau ? 

Il est le symbole d’un peuple, d’une nation, d’une association, d’un groupement d’intérêt… Les membres de ce groupement se reconnaissent dans le symbole qu’il représente, s’identifie à lui. Un drapeau est aussi l’expression d’un passé, d’une Histoire, d’une fierté. Et, ceux qui se reconnaissent en lui, lui doivent  honneur et respect et parfois lui vouent un véritable culte.

Alors n’avons nous pas un passé, une Histoire ? Ne sommes nous pas une entité historique bien définie ? Si ce n’était pas le cas, ne nous reconnaîtrions-nous pas en tant que peuple ? N’est-ce pas à ce titre, en tant que nous-mêmes, tout simplement, que nous sommes invités à des échanges internationaux qu’ils soient sportifs, culturels ou économiques ?

Dès lors, ne devons-nous pas arrêter de nous ridiculiser à la face du monde en n’étant pas symboliquement représentés le plus simplement par un drapeau : notre drapeau ?

 

D’ailleurs le drapeau martiniquais a existé.

Ce drapeau était cet écusson bleu pale avec quatre serpents. Ce qui explique que les couleurs sportives de la Martinique soient le blanc et le bleu.

 Mais il n’y a d’Histoire pour un peuple que celle écrite par les siens. Et nos historiens nous ont rappelé que ce drapeau était le symbole des négriers, des pro-esclavagistes et qu’il convenait de l’abolir en tant que symbole représentatif de notre peuple. Il a donc été abandonné sauf par les militaires basés chez nous. Certains diront qu’il doit bien y avoir une raison.

 

Il n’est pas contraire aux lois françaises.

La Martinique n’est pas le seul pays, sous administration française, à avoir eu son drapeau. Certains l’ont toujours. Le peuple Kanak a son drapeau, les Corses ont leur drapeau. Mais de nombreuses régions de France ont aussi leur drapeau dont le plus connu, chez nous, est celui de la Bretagne. Donc, avoir un drapeau est la manifestation d’une identité forte qui  ne remet pas obligatoirement en cause l’appartenance à un autre ensemble plus vaste.

 

Il est d’une impérieuse nécessité :

-  Parce que le drapeau français est, ou devrait être, de l’usage exclusif de l’Etat français et que c’est seulement pour les équipes nationales de France (c'est-à-dire de l’ensemble français) qu’il peut ou devrait être utilisé. 

Lorsque la Sélection de foot-ball de la Martinique va en finale du tournoi de la Concacaf et qu’elle est qualifiée pour la Gold Cup, ce n’est pas l’équipe de France (c'est-à-dire de l’ensemble français) qui est qualifiée et il est inadmissible que ce soit les symboles de la France qui soient utilisés lors de tels évènements. Les Français de France ne devraient pas comprendre cette confiscation de leur emblème et pourraient, voire devraient,  à juste titre s’en offusquer.

- Parce que, conscient de cette nécessité, chaque mouvement sportif essaie des velléités pour pallier tous ces manquements et cela conduit à du n’importe quoi. C’est ainsi que durant les Jeux des Iles, (qui réunissent toutes les îles sous administration européenne) les représentants de notre pays avaient un drapeau tricolore avec une carte de la Martinique dessinée dessus. Au championnat de la Caraïbe de cyclisme qui s’est déroulé récemment en Martinique, on a vu brandir un drapeau qui sortait, on ne sait d’où.

Tout cela parce que se pose le problème du drapeau Martiniquais.

 

 

Un drapeau ne peut être n’importe quoi.

Un drapeau est un symbole fort, on ne peut faire les choses à la légère. Il est l’expression d’un peuple fier, d’un peuple debout, conscient de son identité, de son apport au monde. N’avons-nous pas un droit légitime à cette prétention ?

Il est donc temps d’arrêter ce spectacle pitoyable que nous offrons au monde. 

Est-ce normal que, lors des Carifta Games, de toutes les délégations participantes, les seules qui aient défilé sans drapeau soient les Martiniquais et les Guadeloupéens ? Est-ce normale, lorsque des athlètes de ces mêmes pays se retrouvent sur le podium, qu’ils n’aient pas droit au lever de drapeau ? 

Tous les athlètes lorsqu’ils remportent une finale ont le premier réflexe de récupérer le drapeau de leur pays pour faire un tour de stade : fierté d’un homme, fierté d’un peuple, fierté d’une nation éventuellement. Pourquoi les nôtres n’auraient-il pas droit à ce bonheur, à cet honneur ? Est-ce trop demander que de réclamer, pour eux, pour nous, ce droit d’être fier d’être Martiniquais, d’être nous-mêmes ? Est-ce trop demander que de réclamer, pour nos sportifs, le droit d’être fiers de représenter leur pays ? Est-ce toujours derrière d’autres drapeaux qu’ils devront se faire connaître ? Aurions-nous honte de nous-mêmes, même lorsque nous sommes triomphants, brillants, conquérants ? 

 

 

Un drapeau s’impose donc : mais lequel ?

Pour l’instant, il n’y a qu’un drapeau qui s’impose à nous par l’Histoire. Par son histoire. Car il est le symbole d’une lutte revendicative d’une identité forte, voire même d’une identité nationale martiniquaise. C’est le drapeau rouge-vert-noir. Ce drapeau que le Maire de Sainte Anne, dans un acte politique majeur, a placé sur le territoire de sa commune. Son collègue, fraîchement élu au Prêcheur, aura t-il le courage de l’imiter ? 

Ce drapeau, né de l’initiative d’un des jeunes militants de l’OJAM, incarcérés à la prison de Fresnes, en France, pour avoir revendiqué le droit à l’émancipation de notre peuple, est un étendard brandi au frontispice de notre Histoire. Le chantre de la Négritude l’avait porté à la connaissance de notre peuple et en avait fait l’un des symboles de son parti. 

 

- A l’heure où notre pays est une yole qui tourne en rond par manque d’idéal, de volonté politique, de voguer de sa propre voile, au risque d’être coulée par le tourbillon de la désespérance,

 

- A l’heure où notre jeunesse souffre d’un manque de repères passés, présents et de perspectives d’avenir,

 

- A un moment où notre peuple est fortement menacé de  dilution, nous devrions tous, comme un seul homme, le brandir à la face du Monde.

 

- A l’heure où la pauvreté de vision et d’actions majeures pour notre pays ne laissent augurer aucune perspective optimiste.

 

- Il appartient, particulièrement au monde sportif, de sauver la situation car, plus que quiconque, il est celui qui est en prise directe avec cette réalité du besoin impérieux de lever notre drapeau.

 

 Mais nos dirigeants sportifs ont-ils la conscience et le courage politiques d’une telle entreprise ? C’est là toute la question. 

 

Michel MARIE-SAINTE (le 9 avril 2008)